DOCUMENT A
Texte
À dix années de distance, les deux catastrophes ont emprunté le
même chemin. Le 26 décembre 1999, quand la tempête baptisée
Martin a déferlé sur l'Europe, je venais tout juste d'emménager dans
La Jeanne-Marcelle, une sorte de manoir bâti deux siècles plus tôt
s sur les ruines d'un château incendié lors des troubles révolution-
naires. Je dormais dans l'une des chambres refaites, sous les combles,
lorsque les premières bourrasques avaient fait grincer la charpente,
et je m'étais laissé un moment bercer par ce qui, dans mes songes,
s'apparentait au travail du bois d'un navire chahuté par les flots. Un
10 craquement de naufrage m'avait jeté hors du lit. Je m'étais préci-
pité vers la fenêtre pour voir le faîte d'un ormel tomber au milieu
du mail2 bordé d'arbres centenaires qui menait à la grille. Le vent
imprimait ses marques sur le paysage, comme une main gigantesque
agitant une chevelure. Une rafale d'une force inouïe s'était soudain
15 frayé un passage dans cette nature mouvante, courbant tout ce qui
acceptait de se soumettre, détruisant la moindre résistance. En une
seconde, plus rien ne subsistait de cette allée majestueuse, qu'un
enchevêtrement de branches maîtresses, au sol, d'où émergeaient les
blessures blafardes des troncs brisés. Un cimetière, sous la lune.
morts.
Dix ans plus tard, les paulownias¹ qui ont remplacé les ormes
meurtris n'ont eu à subir aucune attaque, et le déferlement rageur de
Xynthia, en février 2009, les a simplement débarrassés de leurs bois
. Le danger, cette fois, n'a pas pris la forme impalpable des airs
mais celle tout aussi imparable des eaux. La tempête s'est alliée aux
25 grandes marées, au vent de mer, pour bousculer les obstacles que la
patience humaine avait disposés pour protéger ses refuges. Les flots
venus de l'océan ont envahi l'embouchure des fleuves, des rivières,
emportant tout sur leur passage, barques, baraques sur pilotis,
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