Cher Conrad,
Quel plaisir de recevoir de tes nouvelles alors même que je croyais notre amitié perdue! Tout ici est nouveau pour moi . J'ai l'impression étrange qu'à la fois le monde m'ouvre ses bras mais me submerge également et tu ne crois pas si bien dire : l'Allemagne me manque vraiment.
C'est si bon de te lire dans ma langue!
Mais les derniers temps à Stuttgart ont été réellement éprouvants et j'ai voulu respecter la décision de mes parents. J'aurais aimé qu'ils m'accompagnent mais ils ne se voyaient pas déracinés. Tout plutôt que quitter leur chère Allemagne! Mais crois bien que je lui reste attaché, moi aussi.
Les rumeurs
ici me font craindre le pire sur ce qui se passe en Europe.
Es-tu réellement certain qu'il faille choisir entre Hitler et les Bolchéviques? Le monde entier ferme les yeux sur ce que fait
Staline. Va-t-il donc faire la mĂŞme chose avec Hitler?
Rends-toi compte que le nazisme ne cesse de faire entendre sa voix et je ne comprends pas l'intérêt pour le pays de suivre ses préceptes. Je suis un pur allemand, né en Allemagne et pourtant
je dois fuir comme une vermine mon pays bien-aimé. Tu dis que je pourrai revenir? Mais qu'ai-je donc fait pour être contraint à partir? Pour ce qui est de mes parents, puisses-tu veiller sur eux de loin en loin. Je sais que ta famille n'approuverait pas mais cela me rassurerait. Je n'aime décidément pas les savoir loin de moi avec les bruits qui courent sur les récents développements en Allemagne.
Que ta mère soit convaincue et voie en Hitler le sauveur de notre patrie n'a rien d'étonnant. Mais toi, cher Conrad, toi? Je te souhaite sincèrement de reconsidérer tes positions. Je sais que tu es capable d'analyser la situation et prendre le recul nécessaire. Je crois que vous vivez une sorte de conditionnement où chaque citoyen perd son individualité au service de l'idéologie. Je m’en remets à ton bon sens : ne te perds pas toi-même !
Mais changeons de sujet car le ton de cette lettre devient trop grave. Te rappelles-tu la première sortie de pêche que nous avons faite ensemble? C'était un mercredi de mai doux et ensoleillé. A peine étions-nous sortis de l'école que nous nous dirigeâmes vers la sortie du village pour emprunter ce qu'on appelait le chemin des écoliers, au travers de la campagne. Après une bonne heure de marche, nous étions arrivés au bord d'un étang charmant où nous décidâmes de partager notre déjeuner. J'étais au comble de la joie! Tu m'as alors initié aux plaisirs de la pêche et au milieu de l'après-midi, je suis tombé à l'eau en bataillant avec une prise et par solidarité, tu t'es toi-même jeté à l'eau! Quelle sortie mémorable! Je crois que c'est à ce moment que notre amitié s'est scellée. Je repense à ce moment ainsi qu'à bien d'autres avec nostalgie et je ne saurais exprimer comme tu me manques.
C'est sur cette note que je dois te laisser , cher Conrad. Puisse Dieu veiller sur toi.
Bien Ă toi,
Hans