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Sagot :
INTRO
Dans son « Anthropologie du point de vue pragmatique », Kant, analysant la passion, observe à propos de cette dernière qu'elle est « une maladie, qui exècre toute médication, et qui par-là est bien pire que tous les mouvements passagers de l'âme » (Ill.§ 80). Mais doit-on admettre ce jugement de Kant, et qu'entendre par « maladie de l'âme »
1. La passion comme « maladie de l’âme »
a) Mécanisme de la passion
• Le jugement que porte Kant sur la passion s'inscrit dans une longue tradition philosophique, remontant à Platon. Cette tradition, illustrée par Descartes et, plus près de nous, par Alain. Il pose l'homme comme dualité : l'homme est un corps et une âme, qui sont réellement distincts. L'âme ou l'esprit est raison et volonté et le corps est son instrument.
• Ce dualisme place la source de la passion dans le corps ; c'est un mécanisme corporel qui déborde l'esprit et le domine : « les vraies causes de nos passions, note Alain, ne sont jamais dans nos opinions, mais bien dans les mouvements involontaires qui agitent et secouent le corps humain d'après sa structure et les fluides qui y circulent ». Ce qui reprend la définition cartésienne des passions (cf. Traité des passions, art. 27) comme « des perceptions, ou des sentiments, ou des émotions de l'âme, qu'on rapporte particulièrement à elle, et qui sont causées, entretenues et fortifiées par quelques mouvements des esprits », c'est-à-dire des « esprits animaux », qui correspondent à ces fluides dont parlait Alain.
• Ainsi dans les passions, l'âme subit l'agitation du corps, elle en pâtit. Il n'y a pas, de ce point de vue, de différence de nature entre les passions au sens classique, cartésien, et la passion au sens moderne, celui de Kant. Celle-ci n'est que l'état paroxystique de celles-là, au point que l'âme y devient totalement esclave du corps : le rapport hiérarchique normal est ainsi inversé, l'âme se mettant au service du corps, alors que c'est lui qui devrait la servir. Dans ces conditions, l'âme, se révélant incapable d'exercer le légitime contrôle de la raison sur le corps, peut être considérée comme malade: « Etre soumis aux émotions et aux passions, observe Kant, est toujours une maladie de l'âme, puisque toutes deux excluent la maitrise de la raison. (Anthropologie, § 73).
• Mais dans la passion, l’âme n’est pas complètement passive : elle va penser la passion la rationaliser, la justifier. La passion, écrit Kant, présuppose toujours chez le sujet la maxime d'agir selon un but prédéterminé par l'inclination. Elle est donc toujours associée à la raison ; et on ne peut pas plus prêter des passions aux simples animaux qu'aux purs êtres de raison » (ibid., § 80 Cf. aussi le texte d'Alain, sujet n° 1). Seulement l'âme pense mal la passion, la rationalise de manière aberrante ; la passion sera pensée sera une pensée erronée, un jugement faux. C'est pourquoi, comme le dit Kant, « la passion est à considérer comme un délire couvant une représentation qui s'implante toujours plus profondément » (ibid., § 74).
• En cela la passion se distingue de l'émotion, plus soudaine et momentanée. « Dans l'émotion, l'esprit surpris par l'impression perd l’empire de soi-même. Elle se déroule dans la précipitation (...) La passion au contraire se donne le temps et, aussi puissante qu'elle soit, elle réfléchit pour atteindre son but. L'émotion agit comme une eau qui rompt la digue ; la passion comme un courant qui creuse toujours plus profondément son lit. L'émotion agit sur la santé comme une attaque d’apoplexie, la passion comme une phtisie ou une consomption. L'émotion est comme une ivresse qu'on dissipe en dormant, au prix d'une migraine le lendemain, la passion comme un poison avalé ou une infirmité contractée » (ibid.).
Dans son « Anthropologie du point de vue pragmatique », Kant, analysant la passion, observe à propos de cette dernière qu'elle est « une maladie, qui exècre toute médication, et qui par-là est bien pire que tous les mouvements passagers de l'âme » (Ill.§ 80). Mais doit-on admettre ce jugement de Kant, et qu'entendre par « maladie de l'âme »
1. La passion comme « maladie de l’âme »
a) Mécanisme de la passion
• Le jugement que porte Kant sur la passion s'inscrit dans une longue tradition philosophique, remontant à Platon. Cette tradition, illustrée par Descartes et, plus près de nous, par Alain. Il pose l'homme comme dualité : l'homme est un corps et une âme, qui sont réellement distincts. L'âme ou l'esprit est raison et volonté et le corps est son instrument.
• Ce dualisme place la source de la passion dans le corps ; c'est un mécanisme corporel qui déborde l'esprit et le domine : « les vraies causes de nos passions, note Alain, ne sont jamais dans nos opinions, mais bien dans les mouvements involontaires qui agitent et secouent le corps humain d'après sa structure et les fluides qui y circulent ». Ce qui reprend la définition cartésienne des passions (cf. Traité des passions, art. 27) comme « des perceptions, ou des sentiments, ou des émotions de l'âme, qu'on rapporte particulièrement à elle, et qui sont causées, entretenues et fortifiées par quelques mouvements des esprits », c'est-à-dire des « esprits animaux », qui correspondent à ces fluides dont parlait Alain.
• Ainsi dans les passions, l'âme subit l'agitation du corps, elle en pâtit. Il n'y a pas, de ce point de vue, de différence de nature entre les passions au sens classique, cartésien, et la passion au sens moderne, celui de Kant. Celle-ci n'est que l'état paroxystique de celles-là, au point que l'âme y devient totalement esclave du corps : le rapport hiérarchique normal est ainsi inversé, l'âme se mettant au service du corps, alors que c'est lui qui devrait la servir. Dans ces conditions, l'âme, se révélant incapable d'exercer le légitime contrôle de la raison sur le corps, peut être considérée comme malade: « Etre soumis aux émotions et aux passions, observe Kant, est toujours une maladie de l'âme, puisque toutes deux excluent la maitrise de la raison. (Anthropologie, § 73).
• Mais dans la passion, l’âme n’est pas complètement passive : elle va penser la passion la rationaliser, la justifier. La passion, écrit Kant, présuppose toujours chez le sujet la maxime d'agir selon un but prédéterminé par l'inclination. Elle est donc toujours associée à la raison ; et on ne peut pas plus prêter des passions aux simples animaux qu'aux purs êtres de raison » (ibid., § 80 Cf. aussi le texte d'Alain, sujet n° 1). Seulement l'âme pense mal la passion, la rationalise de manière aberrante ; la passion sera pensée sera une pensée erronée, un jugement faux. C'est pourquoi, comme le dit Kant, « la passion est à considérer comme un délire couvant une représentation qui s'implante toujours plus profondément » (ibid., § 74).
• En cela la passion se distingue de l'émotion, plus soudaine et momentanée. « Dans l'émotion, l'esprit surpris par l'impression perd l’empire de soi-même. Elle se déroule dans la précipitation (...) La passion au contraire se donne le temps et, aussi puissante qu'elle soit, elle réfléchit pour atteindre son but. L'émotion agit comme une eau qui rompt la digue ; la passion comme un courant qui creuse toujours plus profondément son lit. L'émotion agit sur la santé comme une attaque d’apoplexie, la passion comme une phtisie ou une consomption. L'émotion est comme une ivresse qu'on dissipe en dormant, au prix d'une migraine le lendemain, la passion comme un poison avalé ou une infirmité contractée » (ibid.).
b) La passion comme conflit
• Un drame intérieur
La passion est donc une disharmonie à l'intérieur de l'homme. Le renversement des rapports hiérarchiques qu'entretiennent l'âme et le corps introduit « le tumulte, la lutte, les sueurs », dont parlait Platon dans sa description de l'âme à travers le 'mythe de l'attelage ailé, quand par son impéritie le cocher ne peut plus maîtriser ses chevaux (cf. Phèdre, 248 b). Ce mouvement, en effet est « humiliant pour l’esprit (cf. Alain, Propos, éd. Pléiade, 1, p. 1145), Devenue esclave l'âme s'insurge contre cet esclavage mais l'accroit en essayant de s’en délivrer. Ainsi conflit entre mon corps et mon âme, la passion est surtout un conflit entre moi et moi-même, dont je suis la victime en même temps que le complice. Un tel conflit ne peut qu'être douloureux. C'est un drame, celui de « l'esprit humain à l'épreuve, et harcelé par la nature inférieure » (Alain, Propos sur la religion).
On peut rapprocher ce conflit du déchirement entre la volonté hétéronome et la volonté autonome qu'a analysé Kant (cf. Fondement de la métaphysique des mœurs). Pour ce dernier, la volonté est liée d'une part au monde sensible, ce qui entraîne sa détermination par les passions, son hétéronomie ; d'autre part au monde intelligible, transcendant au monde sensible dont l'homme ignore tout « sinon que c'est seulement la raison la raison pure, indépendante de la sensibilité, qui y donne sa loi». C'est en se conformant à cette loi morale que la volonté acquiert son autonomie et sa liberté. Or cette loi de la raison commande de rejeter les passions, puisque celles-ci ne sont pas universalisables et que le propre de la raison est d’être universelle. De là un écartèlement de la volonté entre sa passion et son devoir, de là une souffrance de l'âme.
• Un conflit entre l’homme et le monde En outre, à ce conflit intérieur à l'homme s'ajoute un conflit entre l’homme et le monde. Car le jugement faux de la passion ne peut conduire qu'à une construction délirante, un monde imaginaire qui se heurte au monde réel. La réalité que rencontre le passionné n'étant pas celle qu’il voudrait qu'elle fût, il se révolte contre elle, il s'insurge contre l'inévitable. De ce combat il ne peut que sortir vaincu. C'est là la seconde raison pour laquelle la passion est toujours malheureuse.
2 Vers une réhabilitation de la passion
a) Le plaisir de la passion
• Descartes observait que « l'âme peul avoir ses plaisirs à part ; mais pour ceux qui lui sont communs avec le corps, ils dépendent entièrement des passions : en sorte que les hommes "Qu’elles peuvent le plus émouvoir sont capables de goûter le plus de douceur en cette vie. li est vrai qu'ils y peuvent aussi trouver le plus d'amertume lorsqu’ils ne les savent pas bien, employer et que la fortune leur est contraire » (Traité des passions,3°part., art. 212).
Il apparaît donc que la passion n'est pas nécessairement malheureuse, puisqu'elle pourra « nous faire goûter le plus de douceur en cette vie ». Dès lors quel sens y aurait-il à la considérer encore comme une maladie ? La passion ne sera malheureuse que :
- si « la fortune lui est contraire. Une passion sans obstacle pourrait être une passion heureuse.
- si « elle est mal employée ». Il y aurait un bon usage de ta passion, fondé sur la raison qui permettrait de la rendre heureuse (par transformation ou sublimation).
• La passion ne serait donc pas par elle-même une maladie, encore qu'elle soit souvent douloureuse. Mais cette douleur même est son bonheur. Car « elle peut faire de ses tourments sa joie et jouir de son supplice » (L. Duga). Ainsi les « grands hommes » qui ont, selon Hegel, été des personnages historiques parce que passionnés n'ont pas choisi le bonheur paisible « mais la peine, le combat et le travail pour leur but l (La Raison dans l'Histoire, 10-18, p. 124) ; cependant cette peine et ce combat ont été leur bonheur (leur passion se rapprochant en cela de la passion du Christ). Aussi bien, la passion portée à son plus haut degré, notamment la passion amoureuse, peut atteindre à ce point extrême où souffrance et joie s'abolissent dans un déchaînement extatique (cf. G. Bataille, Les Larmes d'Eros).
b) La passion unificatrice du moi
• On peut même aller jusqu'à dire que la passion est en soi heureuse parce qu'unificatrice et stabilisatrice du moi. De fait « elle est aussi et avant tout la systématisation de toutes les énergies en vue d'une fin peut-être trompeuse, mais adoptée d’enthousiasme, acceptée sans réserves, la seule conçue comme désirable et qui dans la mesure où elle se réalise, doit donner tout le bonheur qu'on est capable de sentir » (L. Dugas). Cf. aussi Hegel (la Raison dans l'Histoire, 10-18, p. 108).
• Un drame intérieur
La passion est donc une disharmonie à l'intérieur de l'homme. Le renversement des rapports hiérarchiques qu'entretiennent l'âme et le corps introduit « le tumulte, la lutte, les sueurs », dont parlait Platon dans sa description de l'âme à travers le 'mythe de l'attelage ailé, quand par son impéritie le cocher ne peut plus maîtriser ses chevaux (cf. Phèdre, 248 b). Ce mouvement, en effet est « humiliant pour l’esprit (cf. Alain, Propos, éd. Pléiade, 1, p. 1145), Devenue esclave l'âme s'insurge contre cet esclavage mais l'accroit en essayant de s’en délivrer. Ainsi conflit entre mon corps et mon âme, la passion est surtout un conflit entre moi et moi-même, dont je suis la victime en même temps que le complice. Un tel conflit ne peut qu'être douloureux. C'est un drame, celui de « l'esprit humain à l'épreuve, et harcelé par la nature inférieure » (Alain, Propos sur la religion).
On peut rapprocher ce conflit du déchirement entre la volonté hétéronome et la volonté autonome qu'a analysé Kant (cf. Fondement de la métaphysique des mœurs). Pour ce dernier, la volonté est liée d'une part au monde sensible, ce qui entraîne sa détermination par les passions, son hétéronomie ; d'autre part au monde intelligible, transcendant au monde sensible dont l'homme ignore tout « sinon que c'est seulement la raison la raison pure, indépendante de la sensibilité, qui y donne sa loi». C'est en se conformant à cette loi morale que la volonté acquiert son autonomie et sa liberté. Or cette loi de la raison commande de rejeter les passions, puisque celles-ci ne sont pas universalisables et que le propre de la raison est d’être universelle. De là un écartèlement de la volonté entre sa passion et son devoir, de là une souffrance de l'âme.
• Un conflit entre l’homme et le monde En outre, à ce conflit intérieur à l'homme s'ajoute un conflit entre l’homme et le monde. Car le jugement faux de la passion ne peut conduire qu'à une construction délirante, un monde imaginaire qui se heurte au monde réel. La réalité que rencontre le passionné n'étant pas celle qu’il voudrait qu'elle fût, il se révolte contre elle, il s'insurge contre l'inévitable. De ce combat il ne peut que sortir vaincu. C'est là la seconde raison pour laquelle la passion est toujours malheureuse.
2 Vers une réhabilitation de la passion
a) Le plaisir de la passion
• Descartes observait que « l'âme peul avoir ses plaisirs à part ; mais pour ceux qui lui sont communs avec le corps, ils dépendent entièrement des passions : en sorte que les hommes "Qu’elles peuvent le plus émouvoir sont capables de goûter le plus de douceur en cette vie. li est vrai qu'ils y peuvent aussi trouver le plus d'amertume lorsqu’ils ne les savent pas bien, employer et que la fortune leur est contraire » (Traité des passions,3°part., art. 212).
Il apparaît donc que la passion n'est pas nécessairement malheureuse, puisqu'elle pourra « nous faire goûter le plus de douceur en cette vie ». Dès lors quel sens y aurait-il à la considérer encore comme une maladie ? La passion ne sera malheureuse que :
- si « la fortune lui est contraire. Une passion sans obstacle pourrait être une passion heureuse.
- si « elle est mal employée ». Il y aurait un bon usage de ta passion, fondé sur la raison qui permettrait de la rendre heureuse (par transformation ou sublimation).
• La passion ne serait donc pas par elle-même une maladie, encore qu'elle soit souvent douloureuse. Mais cette douleur même est son bonheur. Car « elle peut faire de ses tourments sa joie et jouir de son supplice » (L. Duga). Ainsi les « grands hommes » qui ont, selon Hegel, été des personnages historiques parce que passionnés n'ont pas choisi le bonheur paisible « mais la peine, le combat et le travail pour leur but l (La Raison dans l'Histoire, 10-18, p. 124) ; cependant cette peine et ce combat ont été leur bonheur (leur passion se rapprochant en cela de la passion du Christ). Aussi bien, la passion portée à son plus haut degré, notamment la passion amoureuse, peut atteindre à ce point extrême où souffrance et joie s'abolissent dans un déchaînement extatique (cf. G. Bataille, Les Larmes d'Eros).
b) La passion unificatrice du moi
• On peut même aller jusqu'à dire que la passion est en soi heureuse parce qu'unificatrice et stabilisatrice du moi. De fait « elle est aussi et avant tout la systématisation de toutes les énergies en vue d'une fin peut-être trompeuse, mais adoptée d’enthousiasme, acceptée sans réserves, la seule conçue comme désirable et qui dans la mesure où elle se réalise, doit donner tout le bonheur qu'on est capable de sentir » (L. Dugas). Cf. aussi Hegel (la Raison dans l'Histoire, 10-18, p. 108).
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